message personnel de son papa
Ce 23 juillet, ca fait 3 semaines que Fanny se plaint de douleurs à l’abdomen. Finalement, nous avons atterri au CHR de Lille au service des urgences. Entrée à 19h30, un premier interne (étudiant) arrive après 2h30 d’attente dans une petite chambre climatisée, sans possibilité d’éteindre ce courant d’air froid qui vous arrive sur les épaules. A deux dans cette petite chambre au chevet de Fanny. Une seule chaise dans cet endroit exigu de 2,5 m sur 3,5 m. Alors par dépit, je m’installe par terre et commencent de longues minutes d’attente. C’est à 23 h 15 après presque 4 heures que l’interne arrive et vous demande une énième fois de raconter ce qui se passe, et de demander de refaire une nouvelle fois un bilan sanguin. Pauvre Fanny qui se fait ponctionner sans arrêt, et que nous, ses parents, ne pouvons pas soulager. Nous pouvons juste être à ses côtés pour la soutenir et lui susurrer à l’oreille quelques mots réconfortants.
En une heure, que peut-il se passer ?
Fanny souffre, cela se voit. De nouveau une crampe, elle se plie sur son lit, se met à transpirer. On lui parle doucement au creux de l’oreille, elle se calme, se stabilise. Cela dure 30 secondes mais cela vous paraît une heure. On prévient l’interne comme elle nous l’a demandé une heure avant. Et puis on attend encore. Mais au fait, qu’attend-on ? Un hypothétique résultat de labo ? Une décision d’analyse, un examen en vue ? Retour de l’interne qui après un très bref regard à Fanny et un « et vous croyez qu’elle a mal ? » s’en retourne dans son bureau d’où elle venait.
Et puis on retourne sur cette chaise mal rembourrée qui commence à vous meurtrir le postérieur et ce dos qui n’en finit pas de demander un peu de soutien.
Un bref moment de répit et on part se ravitailler au distributeur dans le hall d’entrée. Ah zut, il faut sortir de la zone d’urgence avec cette porte qui ne peut s’ouvrir que dans un sens, ou alors, vous avez le précieux sésame qui vous permet de revenir. Alors que faire ? Ah, quelqu’un arrive. « Pardon, Monsieur, commet fait-on pour sortir chercher à manger et surtout pour rentrer à nouveau ? » Un regard un peu méprisant vous détaillant des pieds à la tête « Ben, il suffit de nous demander après pour rentrer ».
Les distributeurs, où sont-ils ? Ah oui, au fond du couloir, à gauche l’admission et un peu plus loin une petite salle d’attente (tiens oui, encore ce mot) avec les distributeurs de boissons et friandises. Chips, barres chocolatées, biscuits divers, bonbons et trois sortes de sandwiches mous en triangle. Crabe surimi, poulet ou emmental jambon, voilà un choix bien cornélien. Je prends donc un crabe surimi avec un snickers (hé oui les habitudes de la Dorcas) et deux chocolats chauds, il fait si froid dans cette chambre. Retour vers le service des urgences. Mais où sont passées les deux personnes censées être là pour que je puisse demander d’ouvrir cette porte me donnant accès à la chambre de Fanny. Disparues. Un rapide coup d’œil dans un bureau, puis un autre et un troisième. Les gobelets de chocolats chauds commencent à me bruler le bout des doigts. Surtout ne pas se crisper, cela risquerait de tordre le bras qui serre le sandwich contre mon ventre et de lui donner un aspect encore plus plat qu’il ne l’est. Finalement, je croise une personne très gentille qui m’ouvre la porte sans question.
Fanny a encore eu des crampes pendant mon escapade qui n’a durée que trois minutes.
Que se passe t-il ? Rien n’avance.
Une heure du mat’, j’ai des frisons… Tiens j’ai déjà entendu cela quelque part, je prends un drap sur une étagère et je m’enroule dedans, ça va couper un peu ce courant d’air glacé. Mais comment coupe t-on cette climatisation ?
Je suggère de fermer la lumière, cela va peut-être permettre à Fanny de mieux fermer les yeux. Non, rien n’y fait. Je lui parle doucement, elle semble s’assoupir mais ce n’est que de courte durée. Une crampe fait de nouveau irruption (on aurait préféré voir un médecin) et Fanny ouvre les yeux en grand comme pour demander de l’aide, qu’on lui trouve un remède, un exutoire, une solution.
Toujours pas de prévision d’examen en vue. Sans doute ne faut-il pas déranger un grand professeur qui dort profondément et ne peut revenir s’occuper d’un scanner ou d’une échographie de la vessie.
1h40, les crampes se font de plus en plus rapides. L’antidouleur administré à 22h30 n’agit plus, pourtant sur le moment ça a eu l’air de bien agir, mais cela n’a duré qu’une heure réellement.
1h45, les résultats de la prise de sang semblent être arrivés.
Fanny a de plus en plus de crampes.
Nous retournons demander une quatrième fois cet antidouleur promis mais qui n’arrive pas. Petit conflit avec l’interne qui nous menace de ne plus s’occuper de Fanny avant que l’on soit calmés. Le stress, la fatigue. Cela fait 9 heures que nous voyons Fanny se tordre de douleur.
Enfin, un autre interne arrive et pose enfin un diagnostic. On va tout faire pour que des examens soient réalisés. Il est 2h20, Fanny part faire une échographie pour un contrôle de l’appendice et montera dans une chambre de suite après.
Lors de toute cette attente, deux aides soignantes ont pris un soin tout particulier à s’occuper de Fanny avec tendresse, gentillesse et compassion, merci à elles.
Pendant tout ce temps, dans une maison sur les boulevards à Tournai, quelqu’un dort paisiblement. Il y a sept mois, 215 nuits exactement, que rien n’a changé dans son quotidien, la vie est pour lui la même qu’avant. Mais avant quoi au fait se dit-il ? Ah oui, c’est vrai, j’ai dû me priver de la voiture de ma femme pour la mettre au garage. C’était un peu dur…
Voilà 7 mois que Fanny est clouée sur un lit à cause d’un type qui trop pressé pour s’arrêter à un feu lui a pris sa vie. Et je pèse mes mots lorsque je dis qu’il lui a pris sa vie, car quelle vie a-t-elle depuis 7 mois. Une vie entre des opérations chirurgicales, une vie de douleur sur un lit, totalement consciente depuis 4 mois mais sans pouvoir exprimer sa douleur, sa souffrance et nous, devant elle, complètement impuissants face aux événements. Elle devrait être occupée de faire des études, de s’amuser avec ses copines, bref de croquer la vie à pleines dents, mais non, une personne en a décidé autrement.
Pendant ce temps-là, il vit sa vie comme si rien ne s’était passé. Des assureurs se battent pour un peu d’argent, des avocats vous parlent de lois stupides élaborées par des technocrates scribouillards insensibles. Et vous au milieu de ça, vous devez « continuer à vivre » comme ils disent. « Allez, regarde devant toi, la vie continue », « Il faut continuer à vivre», « Tout va bien se passer », « Ca va le travail ? », …
Voilà déjà plusieurs jours que je n’en peux plus du «politiquement correct», marre du "positivement raisonnable".
Retour au CHR de Lille.
4 heures du matin, je laisse Claude, la maman de Fanny, près d’elle pour essayer d’aller dormir deux heures. Un scanner est prévu demain matin. Et cet antidouleur qui n’arrive toujours pas.
Le temps de faire la route de Lille à Tournai et je peux enfin m’endormir. Que de rêves et de cauchemars sur trois heures de temps. Les oreilles aux abois, le téléphone va peut-être sonner, réveil en sursaut, non, rien c’était une fausse alerte. Se rendormir ou au moins essayer.
Le réveil réglé sur 7 heures n’a pas eu le temps de sonner car je me lève à 6 heures 45 trop inquiet de l’état de Fanny. Une tasse de café avalée en vitesse, une douche pour essayer de me réveiller et je file retrouver Fanny dans sa chambre. J’apprends qu’elle est remontée des urgences pour être placée dans une chambre au cinquième étage, sa maman à côté d’elle.
L’autoroute direction Lille est, malgré les vacances, assez chargée mais une demi-heure suffit à rejoindre le parking des urgences et trouver dans le dédale de couloirs la direction de la chambre.
S’ensuit une longue attente. Fanny, en isolement pour infection sera la dernière à être vue par le médecin. Il est 9h15. Je réexplique une nouvelle fois les raisons de notre venue. Il faudrait proposer des enregistrements à l’arrivée et faire passer cette voix vers tous les médecins, peut-être seront-ils mieux informés qu’avec les nombreux et inutiles documents remplis depuis notre arrivée.
Et cette chaise qui est encore moins confortable que celle des urgences. Le dos commence vraiment à devenir douloureux.
10 heures, Fanny ne dort toujours pas, elle est juste un peu calmée par le paracétamol administré il y a deux heures.
Le soleil qui est revenu après des semaines d’absence chauffe fortement la vitre et surtout le châssis en alu qui devient impossible à toucher.
Manque d’air dans cette chambre, je pousse l’ouverture du châssis et arrive péniblement à l’entrouvrir de 8 cm, le voici bloqué pour éviter de s’enfuir par la fenêtre sans doute. Comme il faut impérativement fermer le store pour éviter la cuisson style four vapeur, c’est par une ouverture de 8 cm sur 10 cm qu’arrive un semblant d’air extérieur.
10 h 30, un gentil brancardier vient chercher Fanny, c’est l’heure du scanner. Attente dans le couloir, les ascenseurs sont très lents et un seul fonctionne, il est évidemment pris d’assaut pour les 5 étages de ce bâtiment. De nouveau ce froid identique à hier soir dans les urgences. Et puis Fanny entre dans la salle de scanner. A travers la porte, on entend une voix nasillarde qui martèle sans arrêt « Ne respirez plus » « respirez normalement », on comprend que cette voix enregistrée n’est qu’une bête fonction d’ordinateur. Sans doute ne sait-il pas que Fanny ne maîtrise pas ces fonctions.
Examen rapide, nous remontons dans la chambre et elle s’endort 10 minutes. 10 minutes de répit où il est bon de la regarder, son visage serein, calme et détendu. Trêve de courte durée, car vers 11 h 20 elle recommence à avoir des spasmes réguliers et de plus en plus forts. L’infirmière vient lui mettre un antidouleur, mais rien n’y fait cette fois-ci et 20 minutes plus tard elle est toujours tendue et tremblante de partout. Elle ne semble avoir ni chaud ni froid, juste cette douleur qui la tenaille.
Elle n’est, paraît-il pas considérée comme une urgence, les analyses sanguines n’étant pas mauvaises. Alors, qu’attend-on pour lire ce scan, …
12 h, elle ne se calme plus. Cela devient insoutenable de la regarder se tordre de douleur en étant complètement impuissant. Toujours pas de nouvelles d’un médecin. Comme le personnel soignant est sensible et à l’écoute…
12 h 45, le médecin est passé.
13 h 15, la fatigue se fait cruellement sentir mais Fanny ne semble pas vouloir s’endormir.
14 h, enfin elle s’est apaisée et c’est avec un peu de soulagement que je vais partir dormir quelques heures.
Finissons sur une note positive pour le service du cinquième étage, médecin et personnel soignant qui a géré magnifiquement bien cette journée. La seule chose que l’on peut regretter, comme toujours, est le manque de communication simple entre l’équipe médicale et les patients. Il suffit d’un simple mot pour rassurer et éviter ainsi le stress de tout le monde, pourquoi ne pas y penser.
Le papa de Fanny
Sa maman est associée aussi évidemment puisqu’elle a passé tout le temps avec Fanny, mais ce texte est trop personnel pour la faire signer avec moi.