The Fanny Family

31/01/2012 21:36

Jérôme, je l’ai connu il y a très longtemps. Il était dans la classe d’un de mes frères, pas mal plus jeune que moi. Et puis je l’ai retrouvé il y a sept ans, par un confrère commun, Fabrice. Nous ne nous sommes croisés que deux ou trois fois mais sommes restés en contact grâce à Facebook.

Sans plus. J’ignorais tout de sa vie privée. Je ne connaissais donc pas l’existence de Fanny, qui bouleverse nos vies à tous depuis plus d’un mois.

 

Lorsque, le 23 décembre, Jérôme a lancé son appel aux pensées positives, j’ai été pris aux tripes immédiatement. Wouf. Une fille de 15 ans. Dans le coma ! Bien sûr, ai-je répondu en mon for intérieur. Comment ne pas entendre un tel appel ?

Qui d’entre nous toutefois pouvait alors imaginer que ça allait prendre cette ampleur ?

Personne.

Sincèrement, n’a-t-on pas tous cru, malgré les infos qui commençaient déjà à être distillées, que ce ne serait l’affaire que de quelques jours ? On voulait tous penser à une issue favorable, la seule qui nous semblait plausible, mais on la croyait imminente. Jamais aucun d’entre nous ne s’est dit, en adhérant au groupe de soutien à Fanny, qu’il faisait là un acte qui allait conditionner sa vie d’une telle manière. Nous étions hier le 30 janvier, jour de grève nationale. Fanny est dans le coma depuis le 22 décembre, jour précédent de grève nationale. Une petite neige a remplacé une méchante pluie. 39 jours. Drôle de chiffre, ce 39. Les 39 marches d’Hitchcock. Trois fois treize, trois fois plus de chance donc. Un âge où on commence sérieusement à se dire qu’on n’est plus très jeune tout en sachant pertinemment qu’on est encore bien loin de la vieillesse. Bon, je pourrais continuer avec ce 39 – « merci » en langage sms japonais par exemple – mais ça ne sert pas à grand chose. D’une part parce que sans doute peu d’entre nous ici auront besoin un jour d’envoyer un sms à un Japonais. D’autre part parce qu'après ce sera 40 et et encore après 41.

 

Le soir du 11 janvier, c’était le branle-bas de combat sur le pont. Une phrase du toubib en chef tombait comme une massue sur les presque 3.000 personnes du groupe de l’époque. On risque de perdre Fanny !... L’horreur. Quoi donc, ce mouvement si fort en amour et en amitié n’était donc pas suffisant pour juguler le mal ? On avait un peu trop tendance à croire aux yaka à l’époque. Le message de Claude le lendemain matin confirma. Jamais je crois de ma vie un message si court – Priez pour ma petite fille – ne m’aura fait un tel effet. On voulait faire quelque chose, mettre en œuvre l’impossible, s’activer contre le diable. A plein d’endroits dans le monde, des gestes fébriles ont fusé. J’étais dans un bus à ce moment-là et venais de mettre en ligne un texte, « La nuit Fanny », empreint de beaucoup d’angoisse. La phrase de Claude me fit un choc au cœur. Comme un coup de poignard. Les larmes me montaient, mais c’était pire. J’avais envie de hurler au chauffeur d’aller plus vite. Et ce jeune qui écoutait sa bête musique crrr crrr le regard bête et absent dans le vide, non mais t’as pas mieux à faire de ta vie ? Et ce connard garé en double file pour aller acheter ses clopes et qui nous bloque alors que Fanny lutte contre la mort ?!...

On se sentait tellement impuissant ce jour-là.

 

Et puis, ça s’est calmé, grâce aux mains expertes du Maestro Séna, et sous les regards humides de nos quatre messagers Claude, Jérôme, Andy et Manon. Ainsi que sous l’inquiétude insistante des milliers de membres du groupe.

Pendant que Jérôme et Claude s’activent dans leurs caresses à Fanny, le Nutella qu’ils lui présentent, les mots qu’ils lui chuchotent, les souvenirs qu’ils lui rappellent, les chansons douces qu’ils lui fredonnent, nous, eh bien, on ne fait qu’attendre. Et penser à eux. A elle. Fort, très fort.

De temps en temps, pendant la journée, on vient faire un tour « au groupe ». Pour voir. Savoir. Griller une clope, boire un verre, souffler un peu. Causer. S’inquiéter. Et alors, y a du neuf ? On commence à se connaître les uns les autres. Des prénoms qui sont devenus familiers. Des noms parfois à coucher dehors. Des gens sans âge ni histoire qu’on ne connaît pas mais qui pleurent et implorent devant nous. Des gens maintenant familiers qui sont tous là parce qu’ils ont une âme, un cœur. Des tripes. Des tripes bouleversées, parce que. Parce qu’on est parents aussi. Ou copains. Ou grands-parents. Ou tout simplement des hommes et des femmes qui ne peuvent accepter l’inacceptable. On ose écrire. Parce qu’on le sent, cet émoi qui nous fait écrire. Et on « like » ce que les autres écrivent. Parce qu’on s’y retrouve, on aime, on partage, on approuve. On opine du bonnet. On copine et on se dit à tout à l’heure.

 

Familiers ? Ben oui. Le Groupe est devenu comme une grande famille. On se dit bonjour le matin, bonsoir le soir. Et on se retrouve à table tous les jours à 18h30 tapantes.

Une famille qui s’agrandit à vue d’œil. C’est normal. Dans l’adversité, on se regroupe, on accueille de petits nouveaux. On s’étreint, les bras bourrés d’émotion. Et puis, ça commence à se savoir qu’il se passe quelque chose dans cette immense famille qui grandit.

 

Lorsque j’ai travaillé en Algérie, on m’a dit qu’on savait quand on y arrivait, mais jamais quand on la quittait définitivement. N’est-ce pas la même chose ici ? Quand on y entre, on y entre totalement. Immédiatement. On prête son concours. On fait la vaisselle, on passe l’aspirateur, on propose un café, on ajoute une photo, on écrit un petit mot, on se demande si on n’organiserait pas un petit quelque chose. Et on attend, résolument patients dans notre impatience irrésolue.

Ecoutons Claude et Jérôme : on y est pour longtemps, dans la famille de Fanny. Ces microbes, ces infections, cette fièvre, « on » en viendra à bout. Mais il faudra du temps, dixit le Maestro optimiste et confiant.

Un jour, Fanny sera drôlement surprise de se trouver tant de nouveaux cousins cousines. Lorsque j’étais gosse, j’avais assisté à une fête de famille où nous étions plusieurs centaines. Dès lors, chacun était tenu d’arborer un badge avec son nom et celui de ses parents. Pour situer. Lorsque ce sera son tour, Fanny, elle, n’aura pas besoin de badge. Ce sera la star. Mais il faut encore attendre.

 

Allez, 40 jours aujourd’hui. Drôle de nombre ce 40. Ali Baba et les 40 voleurs en quarantaine qui s’en fichent comme de l’an 40 du CAC 40 pendant les quarante jours du carême… Mais allez, à chaque jour suffit sa peine. Quel que soit le nombre de jours que l’on égrènera à vos côtés, Claude, Jérôme et Andy, on sera toujours présents. Et de plus en plus nombreux. La lutte contre les microbes sera virale. C’est le miracle de Fanny, de la famille de Fanny. 41 ? C’est un nombre premier qui est la somme des six premiers nombres premiers, vous pouvez vérifier. On sera à vos côtés en famille matin, 18h30 et soir. Et même si d'un jour à l'autre, il n'y a pas de nouvelles sensationnelles, on ne se lassera pas de vous lire. On vous la doit, cette lecture du matin et du soir. 42 ? La distance du marathon. Et tous les jours à 18h30, on vous adressera des tonnes et des tonnes d'amour virtuel et pourtant bien réel. Et 46, vous savez ce que c’est ? L’année de création du Giandujot, l’ancêtre du Nutella !...

Sens-le, ce Giandujot, Fanny. On vient d'en ouvrir un immense pot. Pour toute la famille.

par Pierre Guilbert, mardi 31 janvier 2012, 16:29