Tant qu'il le faudra
Bon, je ne vais pas me mettre à jouer au vieux Gabin, à sortir mes sentences du style « Je sais qu’on ne sait jamais », mais j’ai envie de partager avec vous, supporters des parents de Fanny, cette réflexion : On ne sait pas !
Demain, il y aura deux mois. Deux mois que Jérôme et Claude ont bouleversé plein d’amis et d’inconnus par un appel désespéré. Dès le début, ils ont dit c’est grave, c’est très grave. Et dès le début, ils ont prévenu, ça va prendre du temps, énormément de temps. Et nous, on a embrayé, on est entrés dans le mouvement, sans se douter que deux mois plus tard on serait si nombreux à venir si souvent aux nouvelles.
Des nouvelles, il y en a. Et il n’y en a pas.
Passés les moments de panique, on s’émerveille d’un regard, d’un tremblement d’orteil ou d’une respiration paisible. Et nous, on y va de nos phrases rassurantes et résolues, de nos Fanny s’en sortira, c’est sûr, ça ne peut pas être autrement.
Et pourtant, non, on ne sait pas. On ne sait rien. La médecine ignore encore énormément de choses du coma, des traumatismes crâniens. Toutes les hypothèses restent permises. Et bien sûr on est des milliers à espérer la plus belle.
Mais on ne sait pas.
Ça fera deux mois demain que tous les jours un papa et une maman se rendent à l’hôpital, passent tant de temps dans l’attente d’un signe, d’un geste, d’un regard. Du réveil. Et tous les soirs, ils rentrent chez eux en espérant que demain les signes seront plus évidents. Si l’on savait, ce serait simple. Comme une opération normale, une angine, un bras cassé. Dans deux semaines, vous verrez, ça ira mieux. On n’aurait qu'à prendre le mal en patience. Ici, qu’a-t-on à prendre en patience ? L’impatience, le calme plat. Peut-on prendre l’impatience en patience ? C’est ce qui est le plus difficile. Mais c'est aussi le plus beau don de soi : l’attente patiente et présente sans certitude.
On ne savait pas il y a deux mois qu’on ne saurait rien de plus le 22 février.
Oui, au début, Jérôme disait que toute journée gagnée est une journée gagnée.
Aujourd’hui, deux mois plus tard, rien mais rien du tout ne vient aggraver le pronostic. Les infections semblent sous contrôle, l’équipe médicale est de choc, le personnel infirmier est d’une tendresse infinie. D'une humanité sans pareille. Rien donc ne doit ternir nos espoirs ni renforcer nos craintes d’il y a deux mois. Si ce n’est le temps.
Or, c’est la seule chose que l’on savait : que ça allait prendre du temps.
Mais qu’est-ce que cette attente doit être dure pour Claude et Jérôme ! Il y a quelque chose d’inhumain, de terrible, d’insupportable. Et pourtant, ils ne feront rien d’autre qu’attendre. Attendre et attendre.
Alors, nous, que peut-on faire ?
Endosser également cette attente sans fin annoncée, sans délai, sans échéance. Et surtout sans certitude. Promettons à ces parents désemparés qui sont nos amis qu’on sera toujours derrière eux, tous les jours et tant qu’il le faudra. Qu’on ne cessera pas d’envoyer nos pensées positives, notre amitié, notre amour. Tant qu’il le faudra.
Oui, on espère tous quitter le groupe sur la pointe des pieds parce qu’il ne faudra pas perturber le sommeil enfin réparateur de Fanny. Mais pour le moment, on est encore les pieds joints et les bras étreints près de vous. Tant qu’il le faudra.
Et alors, quand on aura l'âge de jouer au Gabin, on pourra chanter comme lui d'une voix rocailleuse qu'on oublie tant de soirs de tristesse, mais jamais un matin de tendresse.
par Pierre Guilbert, mardi 21 février 2012, 18:09