Le temps des braises

15/02/2012 09:37

Mais quand donc va-t-il prendre, ce feu ?

Tout le monde s’est déjà retrouvé dans ces circonstances. Les bûches entassées ne prennent pas. Il y a bien çà et là quelques braises, vestiges du petit bois. Mais le feu ne prend pas. On attend. Tout le monde est agglutiné autour de l’âtre, autour d’un feu qui ne réchauffe pas. On a envie de tendre les mains, vers cette absence de flammes, mais l’on sait que ce serait vain.

L’attente.

 

Deux trois personnes s’activent, soufflent, désespérément. Ne s’arrêtent jamais. Y mettent du leur. Réarrangent les bûches. S’épuisent même. Allez, vas-y ! De temps en temps, une flammèche s’échappe, enclenchant des oh et des ah. Mais elle s’éteint aussitôt. L’espoir, un temps réveillé, fait de même.

L’attente.

 

Derrière, spectateurs attentifs, impliqués, les amis se serrent l’un contre l’autre. Pour mieux voir, mais aussi pour mieux se réchauffer. A part ces oh et ces ah éphémères, on ne dit rien. L’heure est grave, on ne va pas déranger ceux qui soufflent. Simplement, notre présence auprès d’eux, derrière eux, leur donne du courage. C’est leur feu, après tout. Normal qu’ils s’y mettent à fond.

L’attente.

 

Au fond de nos yeux brillent les reflets de ces braises tenaces et persistantes. Et on se dit que rien n’est perdu. Ces braises permettent d’y croire. Elles sont à la fois héritage du passé, mais aussi promesse d’un futur. Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, se dit-on. Tant qu’il y a du souffle, la vie peut reprendre, se rassure-t-on.

L’attente. L’attente est longue, terriblement longue.

 

On commence à ne plus y croire. Pourquoi est-ce si long ?

Et puis tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi, position des bûches, connexion des braises, circulation de l’air, énergie des souffleurs, tout d’un coup donc ça prend. Une flamme s’annonce, se montre, s’enhardit. Elle nous regarde, la flamme, se dit que c’est son heure, et grandit, grandit, grandit. Elle lèche les bûches, les entoure, fait des petits, çà et là. Et ça prend.

Y a-t-il des physiciens spécialistes du feu qui peuvent prédire cela ? Qui sont à même d’annoncer que attention attention dans dix-sept minutes le feu va prendre ? Ou des boyscouts attitrés qui vont dire hé gars, ne t’en fais pas, ton feu, je vais le faire prendre illico presto ?

Et si les bûches sont mouillées, l’air non propice, le tirage mal en point ?

Non, ça n’existe pas l’exactitude en la matière. Le feu, ça prend et on ne sait pas quand. Parfois vite, parfois plus tardivement. Mais tant qu’il y a des braises il y a de la vie.

Et l’attente, cette horrible et désespérante attente, en vaut la peine.

 

Alors, lorsque ces premières grandes flammes envahissent l’âtre, tout le monde tend les mains. C’est un feu qui ne chauffe pas encore tout à fait, mais quelle chaleur ! C’est la plus belle, la plus attendue. La plus prometteuse.

Et on rigole, on n’a plus peur. Le feu a pris. La vie reprend. Les souffleurs ont gagné.

 

par Pierre Guilbert, mercredi 15 février 2012, 09:37