La petite souris est passée

29/02/2012 10:02

Hier, pendant l’opération. Six heures. Des centaines et des centaines de personnes attendent. Ils lèvent légèrement le menton et la pointe des pieds, zieutant vers l’hôpital, proche ou lointain. Là où Fanny endure à nouveau les soins précis et résolus de ses toubibs préférés, hommes de l’Art remarquables qui se relaient auprès d’elle depuis plus de deux mois. Des bougies brûlent un peu partout. A Tournai bien sûr, mais aussi à Venise, Hanoï, Genève, Montréal, Boitsfort ou Chicago. Elles brûlent dans nos cœurs à tous, nos cœurs serrés dans l’angoisse.

On s’active, on bosse, on répond aux mails et aux coups de téléphone. Mais dès qu’une tâche est finie, mail envoyé, conversation raccrochée, papier pointfinalisé, notre regard plonge dans le vide. Et dans notre persistance rétinienne flotte le sourire si connu maintenant de Fanny. Un sourire que l’on voudrait tant conjuguer au futur simple.

 

Et face à ce sourire innocent, qui ignorait alors que tant d’inconnus s’y reflèteraient un jour, on aimerait que le temps avance. Pour que Fanny puisse se reposer. Mais surtout pour que l’on aille aux nouvelles. Alors, alors, alors ?...

En fait, chacun se serait bien mué en petite souris. Tout doux, tout doux, laissant faire les hommes de l’Art, les supportant même. Applaudissant tout bas avec nos petites pattes blanches. On se serait fait tout petit tout petit, mine de rien, tant on voulait savoir. Et alors, et alors les nouvelles ?

On les veut bonnes, ces nouvelles. Au présent et non plus au conditionnel. Drôles de nom, ces temps quand même. Un indicatif ? Notre présent d’aujourd’hui est imparfait. Le passé antérieur était nettement plus simple. Depuis le 22 décembre, il s’est décomposé. Cela fait 70 jours que nous nous côtoyons dans un conditionnel incertain. Chacun participe, présent et comme il peut, à ce regroupement virtuel de 6.000 personnes. On y habite presque. Notre immense salle d’attente, d’attente imparfaite, d’attente inconditionnelle, d’attente impérative.

 

Mais personne ne fut la petite souris. Les seules nouvelles qu’on espérait étaient les bonnes nouvelles. On n’en voulait pas d’autres. Pas de nouvelles bonnes nouvelles ? Allez savoir. On voulait simplement que ces femmes et ces hommes penchés en blanc sur Fanny réussissent. Et prennent leur temps pour cela. Le temps du temps. Et pendant ce temps-là, on tournait en rond, des centaines et des centaines de personnes qui tournaient en rond, ça en faisait des cent pas dans cette salle d’attente virtuelle.

 

Et puis à 22h35, le long message de Jérôme est enfin arrivé. Jérôme, on sait comment il faut le lire maintenant. D’abord les premières lignes. On comprend immédiatement le ton, la gravité. Le risque. La peine. On plisse les yeux, le front soucieux, et on se dit merde. On clique vite sur le « Lire la suite ». Wouf, il a fait fort cette fois-ci, t’as vu la longueur ? Bon ou mauvais signe typographique ? Le curseur de la petite souris furète les dernières lignes, à l’affut du feeling, juste avant l’excellente nuit à tous. Ouf : il garde espoir. C’est le principal. Point final optimiste ce soir ! La petite souris peut revenir en arrière, plus légère, lire le tout, à l’aise, ligne après ligne. On connaît déjà la fin. Ça n’est pas encore le happy end, loin de là, mais quand même. On lit le passé comme le présent tout en connaissant déjà le futur.

 

Ce matin, c’est reparti. Deux jours post-op. Cruciaux. Ce n’est pas aujourd’hui encore qu’il faut baisser les bras, les amis. Tous à vos bougies, à vos pensées positives, vos prières, vos chansons. Et à nos 6.000 cent pas dans la salle d’attente virtuelle. Pensons. Espérons. Rêvons. Imaginons un futur plus que parfait.

 

par Pierre Guilbert, mercredi 29 février 2012, 10:02