La perversité des salles d'attente
Je m'en souviendrai toujours, même si cela remonte à bientôt 23 ans.
Ma fille, petit bébé d'un mois et demi, avait une hernie inguinale. Il fallait l'opérer. Vous imaginez ce qui se passait dans la tête de nouveaux parents tout frais émoulus, conduire notre petite puce totalement innocente et la confier à des mains professionnelles avec scalpel et compagnie. Pour nous, c'était l'horreur. Et pourtant, ça n'était qu'une minuscule intervention purement locale, sans crainte ni danger aucun.
Je me souviendrai toujours de notre regard suivre le minuscule lit d'hôpital qui passait les portes battantes derrière lesquelles nous envoyions notre bébé, seule dans l'adversité. Et puis nous, réfugiés dans sa chambre d'hôpital et dans une attente de 45 minutes. Des minutes qui nous semblaient des heures. Il fallait faire quelque chose. Regarder la trotteuse avancer lentement sur notre montre était insupportable. J'avais avec moi un numéro du Nouvel Obs. C'était la grande époque des tests du Nouvel Obs. Etes-vous de gauche ou de droite ? Beauf ou Intello ? Révolutionnaire ou réac ?
Voilà donc ce qu'on allait faire : le test. Cette semaine-là, le thème était tout trouvé : êtes-vous pervers ?...
Croyez-moi ou non, je ne sais plus ce que le test avait conclu.
Croyez-moi ou non, j'avais de toute façon répondu n'importe quoi.
Je me rappelle aujourd'hui cette attente insoutenable pour une opération bénigne. Et je pense à nos amis Jérôme et Claude dans une salle d'attente peut-être identique, mais nettement plus traumatisante. Il n'y a plus guère de trotteuses aux montres. Et le Nouvel Obs a cessé ses tests. Trop futiles. Ou trop pervers peut-être.
Ils sont là, en ce moment. Attendant la fin de l'attente. Obligés de prendre leur impatience en patience. Qu'ils sachent alors que de nombreux amis, loin de leur salle d'attente, étaient avec eux toute la journée. Et qu'ils auraient bien feuilleté un vieux Nouvel Obs pour tromper l'attente.
par Pierre Guilbert, mercredi 22 février 2012, 18:08