Chœur à cœurs
Eh bien, j’ai le cœur gros.
J'étais d’une église, lieu que je ne fréquente plus depuis qu’à l’adolescence j’ai opté pour un autre cheminement que celui que mes parents me proposaient. Oui, je suis athée. Mais je ne suis pas rabique. Je respecte. Parce que je considère que le rapport à Dieu est de l’ordre de l’intime. J’ai donc une admiration réelle pour le choix philosophique de toute personne qui fait un choix, même dans le doute, sans chercher à l'imposer à l'autre. Y compris, dès lors, pour ceux qui vivent leur foi en un Dieu auquel je ne crois pas. Raison pour laquelle ça ne m’écorche pas les doigts d’octroyer cette majuscule au D. Une majuscule de tolérance.
J'ai pas d’apôtre, j’ai pas de croix, comme chantait Nougaro, je crois en l’autre, je crois en moi.
Une anecdote ?
Allez, les anecdotes ça fait du bien lorsqu’on a le cœur gros.
J’ai pas mal travaillé dans des pays musulmans. Il y a quelques années, j’étais en Afrique noire et j’avais organisé un séminaire pour les cadres d’une entreprise. Il y avait 60 % d’Africains, tous Musulmans ; les autres étaient Européens. De quelle croyance, ceux-là ? je ne sais pas.
Le séminaire se passait « en résidentiel », quelques jours dans un hôtel au sud du pays. J’aime faire prolonger les travaux le soir, ça soude les relations. Mais j’avais prévu qu’à 22h30 on termine en buvant un verre tous ensemble.
Près de la piscine à cette heure-là, il n’y avait que les Européens. Où étaient partis les autres ?... Dans leur chambre, en train de faire la prière ?... Eh bien non. Ils étaient tous en effet dans leur chambre, mais pour boire leur bière. Seuls, et ni vus ni connus. C’est là que j’ai compris cette différence énorme entre nos communautés : les Musulmans font la prière en public, d’une manière quasi obligatoire, tandis que certains d’entre eux préfèrent se cacher pour boire de l’alcool. Les Occidentaux, eux, gardent leur prière éventuelle pour eux, alors qu’en public ils sont presque contraints de boire, allez, Raoul, un dernier verre quand même, montre que tu es un homme… Va-t-on, de notre côté, bientôt octroyer sa majuscule à alcool ? J'espère que non.
Fin de l’anecdote. Retour au cœur gros.
Allez, j'ai exagéré par rapport aux églises. Il m’arrive encore de les fréquenter, et de plus en plus. Pour des enterrements. Je suis arrivé à un âge où ma génération enterre celle qui l’a précédée. Je vais donc là où se partagent les émotions. Là où se disent les adieux. Et très souvent ça reste dans les églises. A Dieu…
J’y vais alors pour la personne décédée, souvent une référence de mon enfance, mais aussi pour mes amis, leurs enfants. J’y vais bien sûr avec tristesse, mais aussi avec le bonheur d’avoir croisé et côtoyé ces gens, d’avoir profité de leur regard, leur humour, leur parole. Bonheur aussi de voir qu’ils laissent derrière eux deux ou trois générations bien faites, prometteuses. C’est le miracle de la vie, du cycle, qui passe forcément par la mort des plus anciens.
Je le confesse (!), les cérémonies religieuses sont quand même ce qui se fait de mieux en la matière. Si toutefois le prêtre accepte de reconnaître que dans son église il y a alors des gens qui ne croient pas. Le lieu est chargé de symboles, d’un temps immuable, œuvre de bâtisseurs de cathédrales ou de simples petites églises. Les volumes résonnent. La pénombre, les cierges, les rayons d’un soleil oblique, les chants, l’orgue, le silence du recueillement, la voix rassurante de l’officiant, les toussotements çà et là, les crrr crrr de la sono. Dans les églises, il fait très froid, complétait Nougaro. Mais une vierge me réchauffa, vierge du même signe que moi.
Le cœur gros, je l’ai depuis que Jérôme a lancé son appel sur Facebook.
Le 26 décembre, j’étais invité à un petit concert de musique de chambre chez une amie un peu plus âgée que moi. Elle organise cela tous les lendemains de Noël. Sa seule motivation avouée : organiser un moment pour qu’elle puisse voir ses amis en dehors des enterrements ! Je trouvais cela chouette et avais accepté l’invitation. Mais je l’ai déclinée en dernière minute, parce que je voulais être à Tournai, pour le lâcher de ballons du premier rassemblement des amis de Fanny. Comme tout le monde, ma résolution était forte : non, non, je ne vais pas à un enterrement, justement pas, mais à un espoir de re-naissance ! L’espoir était fort, vraiment fort. Sur tous les visages. La mine grave, le cœur gros, mais la foi pétillante en l’avenir. En la médecine aussi, dans le destin. Non, pas elle quand même ! se disaient tous ceux qui connaissaient Fanny. Et moi, habitué des enterrements, je ne voulais pas voir de similitudes. La vie de Fanny est devant elle ! Le cycle démarre à peine...
Notre foi, en Dieu ou en l’Homme, s’élevait dans les cieux, gonflée de vœux et à l’hélium. Ces ballons éphémères qui ont diffusé nos messages d’amour et d’amitié ont servi de déclencheur à un mouvement qui s’est amplifié depuis, par le biais de Facebook.
Ce serait donc cela le « cloud computing », cette nouvelle approche du Web qui dépasse le réel pour se renforcer dans le virtuel. Nos milliers de messages suivent les ballons pour se stocker dans les nuages à l’attention de notre petit ange qui, dans son lit bien sur terre, ne pourra rester insensible à tant d’amour. Un jour, un petit angelot malicieux titillera de sa flèche cet énorme cumulo-nimbus gorgé de larmes positives. Et alors les ondes se transformeront en ondées d’amour sur la petite Fanny des merveilles. L’eau n’est-elle pas source de vie ?
Sur ce groupe de soutien à Fanny, se côtoient des croyants, des agnostiques, des athées. Des jeunes et des moins jeunes. Des enfants, des parents, des grands-parents. Des gens qui osent leurs premiers pas sur Facebook pour la cause. Ou qui squattent avec franchise et sans scrupule le profil de leur enfant. Parce qu’on en parle en famille…
Le chœur gros
Et donc ce samedi, oui, j’étais dans une église. Comme tant d'autres, dont certains étaient sans doute plus habitués aux réseaux sociaux qu'aux choeurs gothiques. Veillée de prières, de pensées, de chants. Les chrétiens interpellaient leur Dieu. Tu ne peux pas faire ça ! Allez, Seigneur, réveille-toi, réveille-la ! Derrière la zone de mystère qu’ils acceptent, tous souhaitaient ardemment une juste justice. Que tu vives, Fanny ! Heureuse, sereine, avec les tiens. De leur côté, les autres... priaient aussi. Chacun à sa manière. Tous nous pensions la même chose, interpellant alors le destin, la science, la chance. Nous osions miser sur le mystère de la force de toutes ces pensées convergentes. Quoi qu'on croie, on y croit ! On croit en toi, Fanny. Et on croit au toubib et à l'équipe médicale.
On était bien dans cette église. Heureux de côtoyer Claude, Jérôme et Andy.
Le chœur de l’église était gros de 200 personnes. Qui ont allumé 200 bougies, qui brûleront plus longtemps dans nos cœurs que dans le chœur.
Un gros cœur
Brassens chantait qu’il y a des jours où Cupidon s’en fout… Mais Brassens est d’une autre époque. Il ne te connaissait pas, Fanny, pas plus qu’il ne connaissait tous tes amis. Notre cumulo-nimbus est boursouflé des joues rosées de tous tes cupidons qui soufflent patiemment mais avec force sur le nuage en direction de la Dorcas.
Aux commandes de l’équipe, ton cher Andy de chérubin les encourage. Oh lui aussi il a le cœur gros, tu sais, Fanny. Mais il y croit. Plus que tout. Et il croît. Tu le fais grandir. Comme le nuage. Ses flèches sont prêtes. Bientôt. Ouvre les yeux, regarde le ciel. Ces jours-ci, c’est plein soleil. Mais un nuage de beau temps arrive lentement. Il a la forme d’un gros cœur, que dis-je, d’un énorme cœur. Et cette pluie de pétales qui arrosera bientôt ton visage inondera aussi de bonheur tous tes amis.
Les chrétiens et les athées seront d’accord, alors, pour dire que le ciel peut quand même faire de belles choses.
par Pierre Guilbert, lundi 16 janvier 2012, 09:11