Bravo Mæstro ! Bravo l’orchestre !

22/01/2012 14:31

Une ambulance passe. Dans la tête des automobilistes comme dans celle des passants, des sentiments mêlés s’entrechoquent. Il y a un événement ! Tiens, un accident. Tout près, on dirait. Irait-on voir ? On a tous une part de voyeurisme en nous. Parfois de compassion aussi. Et en effet, l’autre sentiment qui nous étreint est cette émotion de voir ces voitures qui se rangent maladroitement sur le côté. C’est beau. Priorité aux véhicules prioritaires, on sait cela depuis qu’on a joué aux 1.000 Bornes. Et bien sûr on critique les voitures qui profitent de cette voie tracée, de cette ouverture creusée dans les embouteillages pour une noble cause. Petit esprit ! éructe-t-on mentalement. Et on continue, poussant un peu sur l’accélérateur, faudrait quand même pas se mettre en retard avec tout ça.

Mais qui d’entre nous pense vraiment à ce qui se joue à l’intérieur de cette ambulance qui se faufile ? A cette activation professionnelle d’infirmiers, de médecins, de secouristes autour d’un corps qui se bat ? Des gestes précis, salutaires, parfois désespérés. Des choix aussi. Cruciaux. Vitaux souvent. Où la technique ne peut être trahie par les sentiments. Minutie chirurgicale dans les chocs d’une circulation chaotique, de virages brusques, on crie au conducteur d’accélérer, vite !...

Chaque fois qu’on voit une ambulance se diriger vers un hôpital, toutes sirènes hurlantes et gyrophares tournant, on peut se dire qu’un drame vient de commencer. Ce n’en est que la première étape. Déterminante. Mais première seulement. Après, il faudra lutter, soigner, guérir, lutter, lutter, rééduquer, lutter. Il faudra prévenir aussi. Avec toute l’humanité nécessaire. Pas facile ! Monsieur Untel ? Euh… écoutez… Même avec tout le professionnalisme acquis ou une expérience en Irak, au Cambodge ou au Rwanda, on ne pourra jamais être totalement adéquat dans ce genre d’annonce. Les larmes qui montent aux yeux et assèchent la gorge. On n’a pas d’hygiaphone et c’est tant mieux. Alors, il faut y aller. En quelques mots, on sort des parents, enfants, frères, sœurs, grands-parents, petit ami d’un monde pour un autre. Le temps de cette parole difficile aura définitivement un avant – la quiétude, même ignorée – et un après, les affres de l’angoisse, la tristesse, le malheur. Peut-être pour le restant de la vie. D’un coup, alors qu’on en était jusqu’à ignorer combien la vie nous souriait en nous épargnant d’une telle souffrance, celle-ci fait irruption. Bienvenue au club ! pourraient s’exclamer des milliers de gens touchés en plein cœur.

Ils sont encore si nombreux à notre époque à vivre de si terribles souffrances ! Le monde ne va pas bien. Tant que des enfants seront atteints par la violence sociétale, jamais on ne pourra se satisfaire du progrès ! Et être fauché par une voiture en ville sur un passage piéton en est une fameuse, de violence sociétale.

Revenons dans l’ambulance. Il y a pile poil un mois, 22 décembre funeste. Moi je ne sais pas comment s’organisent les secours dans ces cas-là. Quelle est la place du hasard ? Malchance totale et choquante que Fanny se soit trouvée sous ces mauvaises roues à ce moment-là. Deux secondes qui changent une vie, comme le dit Andy. Mais pour le reste ?... On ne les connaît pas, mais on a envie de les saluer, ces ambulanciers qui se retrouvèrent bien paumés face à cette petite Princesse couchée dans la pluie d’avant-noël. Que se sont-ils dit ? Y ont-ils cru tout de suite ? Les hésitations existent-elles en de pareilles circonstances ? Toujours est-il qu’on leur doit une fière chandelle à ces professionnels du secours, samaritains modernes et engagés, saint-bernard des Prunettes maltraitées.

Et ensuite, que se passe-t-il ? Je ne le sais pas plus. Je suppose que le choix de l’hôpital ne se joue pas au vogelpik ou au poker, mais comment ? Ont-ils des quotas à respecter ? je ne sais pas. Bien sûr on ne pense pas à cela, ni hors ni dans l’ambulance : où va-t-elle ? On veut y être le plus rapidement possible, point. Et donc peu importe où. Et pourtant, il nous est tous arrivé de débarquer dans un hôpital où tout sourire semble proscrit et où le niveau d’humanité n’est pas plus important que celui d’une boîte de conserve rouillée abandonnée dans une décharge municipale. Là, l'hygiaphone est présent. Mental mais bien réel. Il nous est arrivé aussi de fréquenter du personnel médical dont l’amabilité bouleversante ne fait qu’occulter un manque flagrant de compétences. Alors, ce fichu 22 décembre, qu’est-ce qui fait que « notre » ambulance se soit dirigée vers « notre » Dorcas ? Ma seule hypothèse est celle-ci : une fée s’est infiltrée dans le GPS de l’ambulance. Les fées, ça sait beaucoup de choses. Et notre fée d’avant-noël savait que c’était là qu’il fallait amener la petite Princesse. A la Dorcas. La voix douce a dicté ses consignes, sans faiblir. Au rond-point, prenez la première à droite ; continuez… trois kilomètres ; au drôle de rond-point en forme de cacahouète, prenez la première à droite ; arrivée à destination…

Et là, une machine se met en branle. Les fourmis, les colibris, les libellules, les mouettes rieuses, tant de petites mains habiles qui s’occupent de Fanny.

Une machine ? Non, un orchestre. Un orchestre, c’est quelque chose. Une hiérarchie, des spécialités, des rôles à assurer, du plus petit au plus grand. Tous les instruments ont de l'importance. Des partitions. Une symphonie. Et une harmonie.

Le maestro est arrivé, ce docteur dont nous parlent tous les jours Jérôme et Claude. Ses belles mains, ses grands doigts, son autorité naturelle. On ne le connaît que de nom et de réputation, mais on l’imagine forcément avec une belle crinière grise, baguette généreuse et sûre en main. Et le brillant brio. Derrière lui, à côté de lui, avec lui, tant de personnes, infirmières, assistantes sociales, aides-soignantes, tant de personnes qui vont s’activer sans jamais s’arrêter. En y croyant plus que tout. Et avec, dixit Jérôme et Claude, une humanité extraordinaire et inédite.

L’orchestre a entamé sa partition il y a un mois, sur le bitume mouillé d’une trop grand-route trop meurtrière. Tatatatam tatam tatam, tatatatam tatam tatam. Et il ne s’est jamais arrêté depuis. Un ange conduisait l’ambulance, et une fée l’a guidée dans les meilleures mains, une équipe qui conjugue compétences et humanité. L’orchestre n’a fait aucune fausse note. Chacun maîtrise à merveille son instrument, sa partition. Bien sûr, on ne sait pas combien de temps l’orchestre jouera. Le temps qu’il faudra. Les 4.000 spectateurs amassés dans la salle sont patients. Mais déjà le petit air de flûte se fait entendre. Chuuut, silence dans la salle, Fanny commence à ouvrir ses oreilles, laissons-la profiter de ce solo de flûte qui va la ramener de ce côté-ci du miroir.

Les applaudissements ?... Oh ils ne sont discrets que pour vous laisser œuvrer en paix, messieurs-dames les artistes. Mais s’ils sont muets, vous pouvez les entendre dans vos cœurs. Ils résonnent, ne s’arrêtent pas, donnent le rythme, claque vitale qui ponctue dorénavant toutes nos palpitations. Ils seront plus forts encore cette fin d'après-midi à 18h30. Des milliers de pensées positives à l'unisson d'un orchestre féérique dirigé de main de maître.

Finalement la seule mocheté qui est arrivée à Fanny, c’est ce choc contre ce pare-choc dégueulasse. Pour le reste, mais quelle chance d’être tombées dans vos mains, messieurs-dames les artistes du secours. Tatatatam tatam tatam, tatatatam tatam tatam. Bravo Maestro ! Bravo l’orchestre !

par Pierre Guilbert, dimanche 22 janvier 2012, 14:31