Les petites crottes

26/02/2012 18:36

Ma chienne qui se fait très vieille a finalement eu une belle vie. Pas de soucis existentiels, au chaud tout le temps, et pas grand chose à faire pour bouffer. Elle qui n’a jamais réussi à attraper la moindre proie dans le jardin devait se demander comment nous faisions pour ramener autant à manger et aussi souvent. Peut-être est-ce là l’origine de la véritable vénération que les chiens vouent à leurs maîtres les humains : ils les croient meilleurs chasseurs qu’eux !

 

Ma chienne, contrairement à bon nombre de ses congénères, a connu une petite enfance particulière. En effet, elle est née dans une famille qui possédait un couple de chiens. Elevée et nourrie pendant deux mois par sa maman, la chiotte voyait donc régulièrement son père de grand clebs tenter des incursions parmi la manade de petits marmots. Courant chez nous les humains – heureusement quand même ! – cette présence du père à la maternité reste rare chez les animaux domestiques.

Et c’était bizarre. La mère acceptait que tout le monde, humains compris, viennent fureter dans sa marmaille, mais dès que le mâle, père, géniteur, chef de famille et tutti quanti, pointait son museau, elle, elle montrait les dents. Et le faisait fuir. Ce qu’il faisait illico presto sans demander son reste. Les enfants, la smala, tout ça, ça n’est pas son truc. Lui, c’était la chasse, et le rapport au reste du monde.

 

On demanda un jour à un vétérinaire s’il savait ce qui se passait dans la tête du mâle. Se savait-il père ?...

Difficile de répondre avec certitude, mais le véto fut clair : non, bien sûr, le chien ignore qu’il est devenu père. Et pour lui, ces petites choses qui gigotent près de la femelle sont comme des petites crottes qui étrangement bougent. Des petites crottes vivantes.

 

Tous les pères qui me lisent se rappelleront aisément combien nous nous sentions maladroits avec nos petits bébés dans les bras. Plus gauches en tout cas que la maman. Il faut dire que généralement nous devenons pères neuf mois après que la mère ne soit devenue mère, non ? Peut-être certains d’entre nous se souviendront aussi combien il leur a été difficile de trouver leur place face à l’enfant qui venait de naître et qui tout d’un coup grandissait plus vite qu’on ne l’aurait voulu. On était les numéros Deux en la matière, pas les numéros Un.

Fruit de ses entrailles, l’enfant sort du ventre de la maman, se nourrit de son sein. Le père moderne est à leurs côtés. Il admire, s’émerveille, aide. Pampers, courses, ordre. J’idéalise ? Allez, j’ai parlé de « père moderne ». Notre rôle, nous le sentions, était de « couper le cordon ombilical », de séparer l’enfant de sa maman au fur et à mesure de la vingtaine d’années qui suivraient. Pour amener l’enfant à devenir un adulte. Vaste programme, dont nous ne pouvons nous débiner.

 

Dans ce groupe de soutien à Fanny, il y a beaucoup de femmes. Beaucoup de mamans. Touchées, émues, qui se mettent à la place de Claude et Jérôme. Qui ont peur. Les femmes sont-elles davantage touchées dans leurs tripes ? Ou sont-elles plus capables d’échanger leurs émotions ? Ou de se montrer présentes quand il le faut ? Peut-être un peu de tout ça. Mais on s’en fout, ça n’est pas grave. On ne va pas se mettre à réclamer des quotas. Hé ! Ça n’est pas juste. Il nous faut plus d’hommes dans ce groupe trusté par les femmes !

De toute façon, des hommes il y en a ici. Qui s’expriment, s’investissent, s’émeuvent. Font parler leurs tripes de père. Mais jamais sans doute, sans ce triste accident de Fanny, nous n’aurions pu parler ou écrire de la sorte, si publiquement. Stéphane, Bruno, Jean-François, Jean, Pierre, Christian, Bruno, Alain, André-Marie… tous des prénoms qui fleurissent ce mur de soutien à Fanny. Parce que contrairement à d'autres mâles, nous savons qu’une petite crotte est une petite crotte. Et que les crottes ça n’est pas vivant. Parce que surtout nous savons qu’un enfant, oui, ça vit et ça doit vivre. Coûte que coûte. Et que c'est notre rôle de papa de les amener à l'autonomie de l'âge adulte.

 

Alors oui, nous voulons être avec Jérôme, derrière lui, à ses côtés. Parler "homme", ça n'est pas ringard. Surtout si c'est pour parler "papa".

 

par Pierre Guilbert, dimanche 26 février 2012, 18:36