Le Printemps Allard

11/03/2012 18:14

Considérer que le mystère de la vie reste un fameux mystère est une belle lapalissade. Qu’est-ce qui fait que de la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde naît une palpitation qui ne s’éteindra que des dizaines et dizaines d’années plus tard, voire carrément un siècle ? Qu’est-ce qui fait que cette palpitation parfois s’éteint, ou parfois perdure face à un événement traumatique. Le sait-on ? La science a-t-elle les réponses précises à cette question ? Ou s’en remet-elle à la philosophie ?

 

Certains parlent de l’âme, du souffle de vie. Quant à moi, à vrai dire, il y a longtemps que j’ai arrêté de chercher à m’impliquer dans des querelles sémantiques de philosophes ou de théologiens. Ce qui m’importe, c’est la vie, et la qualité de celle-ci. Ce qui m’importe, c’est de la respecter, toujours, envers et contre tout. Ce qui m’importe, c’est de lui donner sa chance, de croire en elle. Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, tant qu’il y a de l’espoir il y a de la vie.

 

Fabulons un peu. Imaginons la vie.

 

Imaginons qu’en réalité la vie existe tant que les molécules de vie existent. Ces molécules, appelons-les les Xsions. Elles sont extrêmement nombreuses. Des milliards. Ces milliards de Xsions s’activent en permanence dans nos corps, certains dans le sang, d’autres sur les nerfs. Ils voyagent, se croisent, s’affairent. En permanence. Jamais ils ne s’arrêtent. Jamais de toute la vie. Même pendant le sommeil. Les Xsions ne dorment pas. Ils inventent les rêves, les font vivre. Ils adorent cela, en fait, les Xsions. Les rêves comme les cauchemars.

Si on pouvait les voir, les Xsions feraient penser à une immense fourmilière. Si ce n’est qu’ils n’ont pas de tâches prédéterminées. Ils doivent bouger et s’activer en permanence, c’est tout.

Lorsque la mort est décrétée, cause ou conséquence on ne le sait toujours pas, les milliards de Xsions se rassemblent et forment un nuage éthéré de 21 grammes qui s’éloigne du corps. C’est un médecin américain, Duncan MacDougall, qui a cru pouvoir démontrer l’existence de l’âme en pesant des personnes juste avant et juste après le décès. Le souffle de vie pèse 21 grammes. L’insoutenable légèreté de l’être. L’âme, l’esprit, la mémoire. Ou le karma qui s’en va à la recherche d’une réincarnation. Poids minuscule, ça ne fait pas lourd le Xsion : 21 grammes divisé par des milliards…

 

Le 22 décembre 2011, il ne devait rien se passer. De toute l’Histoire il ne se passe jamais grand chose un 22 décembre. On se prépare aux fêtes de fin d’année. Le stress des courses de Noël se conjugue avec l’insouciance des congés qui approchent. La douleur du froid des rues s’altère au contact du chauffage central. Et puis il fait nuit tellement tôt, même si c’est le jour où le jour commence à reprendre ses droits sur la nuit. Que dit Wikipédia du 22 décembre ? Rien. Ou quasi. Le 22 décembre 1666, on inaugura l’Académie des Sciences tandis que Kurt Waldheim fut élu secrétaire général de l’Onu 305 ans plus tard. C’est à peu près tout. Maigre. Dès lors les Xsions s’activaient un peu partout dans une routine de future trêve des confiseurs. Ah l’insouciance légendaire des Xsions !...

 

Tout d’un coup il y eut un choc brutal.

Les Xsions qui s’activaient chez Fanny, cette grande belle fille de 15 ans, dynamique, enjouée, responsable, prometteuse, étaient drôlement contents d’habiter une telle personne. De la faire vivre. Il y avait toujours à faire pour cette magnifique palpitation. Tant d’amis à aimer, tant de rires à déployer, tant de vie à activer. On peut plus mal tomber, nettement plus mal, se disaient-ils souvent en se croisant. Oui, les Xsions de Fanny étaient fiers de leur rôle. Leur sentiment d’appartenance était fort et manifeste. Quinze années déjà et tant d’avenir qui se profilait.

Dès lors, le choc brutal de 19h20 le 22 décembre dernier surprit tout le monde. Les Xsions s’arrêtèrent, stupéfaits. Titanic ! Panique à bord. Déjà des cris fusaient parmi les quelques Xsions les plus conventionnels. Vous savez, ceux qui obéissent à la première intimidation. Formons le nuage ! Formons le nuage ! Rendez-vous à l’âme ! criaient-ils. Mais les Xsions dociles ne sont pas légion chez Fanny. Trois ou quatre, guère plus. Les autres, plus hardis, se regardèrent. Leurs yeux semblaient désespérés. Non, pas nous ! semblaient-ils se dire interdits. Ils ne savaient que faire. C’était nouveau pour tous. Ils savaient bien que ça arriverait un jour, mais pas si tôt ! Ils n’avaient évidemment pas encore fait d’exercices de simulation. Ça doit être une fausse alerte ! suggéra l’un d’entre eux. Un autre alla aux nouvelles et revint vite, penaud, triste, extrêmement triste, pour annoncer à la cantonade que non, ça n’était pas un exercice, que c’était bien réel. Malheureusement bien réel.

 

Alors ils s’observèrent. Une étincelle illumina tous les regards. Leur air passa d’interdit à décidé, de désolé à résolu, de passif à actif. Non ! crièrent-ils, non ! Et ils se croisèrent les bras. On n’a pas fait tout ce chemin pour rien ! s’exclamaient-ils. Pas à quinze ans quand même ! Quelqu’un venait d’attenter à la vie de Fanny, à la quintessence même du plus infime respect de son énergie vitale. C’était inacceptable. Intolérable. C’était grève générale en Belgique ce jour-là ? Eh bien tant mieux : les Xsions de Fanny décrétèrent que eux aussi feraient grève !

Phénomène unique. Si Duncan MacDougall avait pesé Fanny le 22 décembre à 19h21, il n’aurait pu constater qu’un poids totalement stable. Pas un millième de millième de milligramme n’avait disparu. Et le Nutella n’y était pour rien. Aucun Xsion n’avait déserté. Tous étaient prêts à se battre jusqu’au bout. Main dans la main. Foi de Fanny, son âme tiendrait bon ! El pueblo, unido, jamas sera vencido !

 

Depuis deux mois et demi, les Xsions s’activent. Lentement mais sûrement. Il a fallu se réorganiser, convaincre les plus sceptiques, calmer les plus impatients. Oh non, ça n’est pas facile tous les jours. Mais leur résolution n’a jamais failli. Ils font grève du zèle désormais. Du boulot, il y en a ! D’autant plus qu’ils se savent soutenus. Par une équipe médicale d’enfer. Les meilleurs. Qui y croient dur comme fer. Comme eux. Par des parents aussi, qui se battent comme des lions. Comme eux. Hé hé, normal, les Xsions de Fanny ont de qui tenir. Et aussi par un soutien inédit sur les réseaux sociaux, Facebook en particulier. Ah, ça, les révolutions ont trouvé un formidable outil de lutte avec Facebook. C’est la lutte vitale ! chantent en chœur et hardiment des milliards de Xsions.

L’année passée, c’était le Printemps arabe. 2012 sera le Printemps Allard !

 

par Pierre Guilbert, dimanche 11 mars 2012, 18:14